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Vanessa soupault

Les camées antiquisants, bijoux d’une autre époque

Broche en or 18K, ornée d’un motif pivotant composé d’un côté d’un camée trois couches sur agate représentant une ménade, et de l’autre côté, dans la même pierre, d’une intaille représentant un homme illustre.

L’art de la glyptique, qui consiste à graver des pierres en creux (intailles) ou en relief (camées), est attesté depuis plusieurs millénaires. Les premiers témoignages remontent à l’époque mésopotamienne, c’est-à-dire vers 5000 avant notre ère. Les civilisations égyptiennes, grecques et romaines ont laissé plus tard de très nombreux exemplaires de ces délicates petites sculptures faisant ressortir l’extrême maîtrise des artisans. Toutes les pierres dures ou plus rares ont pu servir de support à ce mode d’expression.

Ce goût pour la glyptique perdure chez les Byzantins puis en Italie du sud au XIIIe siècle, à la Renaissance et au XVIIIe siècle. On collectionne les gemmes gravées, on étudie les pièces antiques, on les copie et on les réinterprète. Les grands maîtres sont à Rome mais pas seulement, on les trouve également en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne. Le XVIIIe siècle est celui des glypticiens célèbres comme Anton Pichler, Nathaniel Marchant, Edward Burch. On doit à Anton Pichler l’habitude pour ses contemporains de signer les pierres pour éviter de diffuser des copies d’antiques.

La pièce que nous présentons aujourd’hui témoigne notamment de ce nouveau souci d’authenticité car elle porte les signatures de deux maîtres. Le premier est Nicola Morelli (1771-1838), l’un des plus illustres glypticiens de son époque. Il s’est distingué particulièrement dans l’art du portrait et principalement par le biais du camée. Morelli, dont le nom figure sur les guides « artistiques » compilés pour les visiteurs étrangers en Italie, et virtuose du Panthéon nommé en 1810 pour la Chaire de gravure en pierres dures de la Congrégation de l’Académie, a réalisé de nombreux camées pour la famille de Napoléon. Celle-ci a insufflé une nouvelle dynamique à la glyptique: Joséphine Bonaparte et les princesses se paraient de splendides parures serties de camées, exemples à suivre pour les femmes de l’époque. Le travail de Morelli se distingue par une grande élégance et une pureté des contours rares. Ses œuvres sont conservées dans les plus grands musées. Par exemple Bollettino dei Musei Communali di Roma, Associazione amici dei musei di Roma, 1992, N°6.

L’intaille gravée au revers de la pierre, est quant à elle signée Berini. Francesco Antonio Berini (1770-1830) est également l’un des plus célèbres glypticiens de son époque. Formé par Giovanni Pichler (le fils d’Anton) à Rome, il se rend à Milan, la capitale, foyer artistique extrêmement dynamique, encouragé par de puissants mécènes et collectionneurs. Il reçoit du Comte Caprara, archevêque de Milan, une commande spéciale pour le couronnement de Napoléon devant avoir lieu en la Cathédrale de Milan le 26 mai 1805. Berini fut mis en prison le temps du couronnement car l’œuvre réalisée, un camée, faisait apparaître une très fine ligne rouge d’inclusions courant autour du cou de Napoléon. Cet épisode n’affecte en rien sa carrière car il effectuera d’autres portraits pour la famille impériale. D’autres commandes importantes lui parviennent, notamment de la part du Comte Sommariva, administrateur de Milan qui avait la manie de faire reproduire ses œuvres dans ses collections de pierres dures. Parfaitement connu et estimé pour la grande qualité de son travail, sa réputation dépasse les frontières, il réalise des commandes pour le Tzar Nicolas Ier, le vice-roi Eugène de Beauharnais, Franz Erwein von Schönborn, l’un des principaux mécènes allemands. Son œuvre est principalement connu par des moulages conservés au Musée de Trieste, les pièces originales, très rares, sont conservées dans les plus grands musées.

L’œuvre que nous présentons est exceptionnelle : elle réunit sur une seule pierre deux des plus grands noms de la glyptique du début du XIXe siècle, dont la renommée est passée à la postérité. Qui plus est, deux artistes dont les œuvres originales n’apparaissent que dans les collections des musées. Par ailleurs, elle se distingue par une qualité d’exécution parfaite, où le tour de force technique se double d’une expression artistique raffinée.

Parmi les études consultées de Gabriella Tassinari concernant Berini, citons : Iconografie « antiche » nella collezione di calchi e cammei di A. Berini, LANX 2 2009, p.78-115.

Gabriella Tassinari, Incisori in pietre dure e collezionisti a Milano nel primo Ottocento : il caso di Antonio Berini e Giovanni Battista Sommariva, in Le gemme incise nel Settecento e Ottocento. Continuita della tradizione classica, a cura di M. Buora, Atti del Convegno di studio, Udine, 26 settembre 1998 (Cataloghi e monografie Archaeologiche dei Civici Musei di udine7), Roma 2006, p. 27-49.